Elei et Ôltirn

Il y a quelques mois...

Elei avançait à grands pas, sans faire attention à son compagnon. La forêt ne lui était pas familière mais elle s'en fichait, avancer était son seul but. Le Camp devait être quelque part par là, dans cette région aux arbres immenses. Retrouverait-elle certains de ses souvenirs ? Peu lui importait. Elle savait qu'elle était une Daendil et que sa place devait être là bas.

Ôltirn, son compagnon, ne la quittait pas des yeux, inquiet. Il ne connaissait que trop bien cette exaltation qui la prenait parfois, quand, quittant le songe dans lequel elle semblait flotter, elle s'agitait, décidait de choses et d'autres et partait à l'aventure. Il la connaissait depuis si longtemps... Quand son enthousiasme retomberait, ils le paieraient cher, encore une fois.

Cela faisait sept longues années qu'elle était comme ça. Sept ans pendant lesquelles il n'avait eu de cesse de la protéger d'elle-même et de ses démons. Ses souvenirs étaient tellement confus qu'il ne savait même pas exactement ce dont elle se souvenait. Oh, tout ce qui s'était passé avant l'attaque, elle s'en rappelait disait-elle. Mais lui, porteur d'un secret douloureux, ne pouvait lui dire qu'il manquait un pan de sa vie. Il avait trop peur qu'elle ne sombre complètement dans une folie destructrice.

De l'attaque, il ne gardait qu'une impression confuse, des combats, du sang, des cris, de la fumée et la peur de la perdre. Il avait vu Merende emmener les enfants, priant pour qu'Elei soit à ses côtés. Il ne savait pas, qu'aveuglée par la fumée et folle de terreur, elle était partie du mauvais côté. Elle avait foncée droit dans le camp Mojache...

Au début, elle se réveillait parfois la nuit, se dressant brusquement sur sa couche en hurlant, en proie à une terreur indicible. Ses yeux fermés sur des images inconnues, elle sanglotait, sans l'entendre, durant de longues minutes. Ôltirn la prenait contre lui, la serrant et la cajolant, mais Elei demeurait incapable de mettre des mots sur sa peur. Et, au petit matin, quand il l'interrogeait, c'était pour se rendre compte qu'elle avait tout oublié de ses terreurs nocturnes.

Il s'était résolu, la mort dans l'âme, à la droguer chaque soir, pour que les cauchemars ne l'atteignent pas. Il versait dans sa tisane quelques gouttes de potion de sommeil sans rêve, et la regardait dormir paisiblement.

Il l'avait retrouvé, errante solitaire, sur une plage à Desolace, hagarde, les pieds en sang et le corps meurtris. Elle portait encore des traces de coups et d'innombrables bleus couvraient son corps. Elle était quasiment nue, sans aucun de ses attributs de druidesse et se tenait debout au bord de l'eau, le regard tourné vers le large, l'écume de la mer venant lécher ses pieds rougis.

A la joie de la revoir, au soulagement de la savoir vivante, avait succédé un flot de questions, auxquelles elle ne répondait pas, comme si cela ne la concernait pas. Ôltirn avait maudit les esprits de lui rendre Elei ainsi, enfermée en elle-même, mais il l'avait ramené contre sa poitrine et s'était promis qu'un jour, elle serait comme avant.... ou presque.

Par quel hasard se sont-ils retrouvés au Bastion de Pennelune ? Au moment d'entrer dans Aschenval, Elei avait brusquement décidé de faire demi tour, décidant qu'elle voulait revoir leur village natal. Il avait bien tenté de la faire changer d'avis, arguant que les renseignements qu'on leur avait donné sur le Camp de la forêt devaient être bons puisque même les gardes parlaient d'elfes aux cheveux verts qui louaient régulièrement des griffons pour voyager. Elle avait secoué la tête et pris la direction du Sud sans l'écouter.

Quels tours les esprits voulaient leur jouer ? Sur cette plage ils ont retrouvé des Daendil. Ôltirn n'arrivait pas à le croire quand il a vu Azhaléa venir vers eux sur le ponton. La voleuse les a contemplé comme si elle n'en croyait pas ses yeux. Elle leur a demandé de la suivre, en disant que les autres n'étaient pas loin. Une fois qu'ils ont rejoints le petit groupe sur la grève, elle a disparu.

Elei n'a pas semblé faire attention à la disparition de la voleuse, trop occupée à poser des questions. Des Daendil présent, elle n'a reconnu que Diryana qui se promenait avec une grenouille au nom bizarre : Kharess. Ce nom a paru ravir Elei et elle s'est tournée vers lui :

- Oh ! Si on a une fille un jour, je l'appellerais comme ça ! Kharess ! C'est très joli !

Il a blêmis puis rougis aussitôt. Elle ne se souvenait toujours pas de l'enfant qu'elle portait quand elle s'est enfuie du Camp cette nuit là! Et elle ne faisait pas grand cas du fait qu'il ne l'avait pas touché intimement depuis qu'ils se sont retrouvés. Et elle parlait d'avoir un bébé, comme si c'était naturel !

Il l'observait attentivement. Elei semblait un peu agité, et il s'en inquiétait. Devaient-ils vraiment retourner là-bas ? Avec ces semi étrangers, qui les ont accueillis sans broncher ? Il a noté l'air courroucé de Myrah et Mahélys quand Elei a exigé que les mâles s'agenouillent devant elle. Il est vrai que le ton qu'elle a employé était plus que cassant, mais, Daendil jusqu'au bout de ongles, elle a repris naturellement les coutumes du Clan, comme si elle n'en était jamais partie, et attendaient le respect que chacun doit porter à une druidesse.

Heureusement, un elfe aux cheveux violets s'est agenouillé et Elei a semblé satisfaite. Il n'osait pas penser à la colère qu'un geste de révolte aurait pu déclencher. Il vérifia discrètement si certaines fioles étaient dans ses poches, soulagé de sentir la forme arrondie du verre soufflé sous ses doigts. Rapidement, il a débouché un flacon et l'a passé sous le nez d'Elei. Le regard de l'elfe a perdu de sa clarté et un sourire est né sur ses lèvres.